Le « califat », un projet politique non-viable

« Multinationale de la violence, nourrie des rentes pétrolières, droguée à l’opium d’une religiosité macabre et a priori nihiliste » (Loretta Napoleoni), il est cependant certain que les visées de l’EI sont universalistes, elles aussi, pour notre plus grand malheur à tous.

 Dès lors, doit-on imaginer ces projets comme universalisables ? N’allons pas jusque-là pour autant ! Même si la journaliste italienne s’interroge, avec une préoccupation de lucidité qui n’est certes pas malvenue, sur la réinstauration probable, à moyen ou long terme, d’un califat relégué, pourtant, depuis presque un siècle depuis son abolition (chute de l’Empire Ottoman en 1924), au « néant historique ». Et ce n’est pas fatalement parce que, comme l’avance cette thèse, l’EI exploite à son profit tous les moyens modernes d’une « guerre » à laquelle, même encore aujourd’hui, nous avons peine à donner un nom, que sonnera bientôt le glas des Etats-nations et des frontières tels que nous les connaissons, reconnus et, théoriquement (et, parfois aussi, en « pratique » !) protégés par les grands principes du Droit international. Car, selon certains autres spécialistes de la question, les nouvelles facettes du terrorisme reposeraient avant tout sur l’espoir de bâtir une nouvelle  « communauté humaine » plus homogène, plus soudée peut-être, que toute autre société, sur le socle des valeurs, des idées religieuses de nature islamiste. Dans tout le « monde musulman ». Qui saurait alors exister en tant que « communauté », devenir homogène et « faire Etat ». Mais, sur les bases de quels Etats existants, lesquels défieraient alors les frontières actuelles, forgées par leurs particularismes identitaires, pourtant si multiples ? Il semble impossible d’imaginer une telle « confédération », un tel « espace géographique », même restreint, à l’heure actuelle, c’est une utopie. Non seulement que de vouloir convertir la raison en folie, en pervertissant les âmes et les poussant au Crime, mais également de se faire en parallèle une idée concrète d’un « Etat » sur une quelconque base géographique : les frontières ne se redéfinissent pas en dehors du cadre du Droit international, et surtout de sa force contraignante. Et ce dernier est en constante évolution, si tant est que les intérêts supérieurs de l’Humanité qu’il est censé défendre rencontre le courage de chefs d’Etats prêts à s’unir pour régler les conflits, dans ce « grand concert des nations », pour rétablir ou établir enfin « les règles » : les frontières. Donc la paix. Non. Le Droit international, la Cour de Justice internationale qui résout à coup d’arrêts les « litiges » territoriaux, économiques entre les Etats, et tous ceux qui s’emploient à le faire respecter sauront faire barrage aux courants qui menacent par leur expansivité les bases de son système : les frontières, bases légales qui ont atteint de par leur plus ou moins longue histoire une forme de légitimité qui ne doit pas être combattue, au nom de la paix, essentiellement… De même qu’au nom de la « prospérité » dans tous les sens du terme.

 L’EI n’est pas une possibilité. L’EI est voué à disparaître. Sur le terrain. Ce sont, effectivement, ses visées qui ne le sont pas, la volonté de convertir des foules - qui pourtant sont sans aucun doute beaucoup plus libres, plus conscientisées de l’inutilité de cette « conquête », que ces protagonistes ne le pensent - car, en plus d’être universalistes, elles sont, peut-être, certes, universalisables. Mais, dans les « esprits » uniquement. Au travers d’une Education qui peut conditionner un esprit vers le « pire ». Jusqu’à l’assassinat de la Pensée !

 Mais, surtout, l’on ne peut ignorer le vœu de paix de populations civiles désarmées qui composent plus que majoritairement les Etats de la grande « région » qui s’embrase au nom d’un projet titanesque, pour ne pas dire utopique de par sa nature même – puisqu’à son origine on ne trouve que violence, et destruction. Et, si une société humaine peut avoir en partie pour origine la violence et les inégalités (Rousseau) - pensons également aux grandes révolutions du passé de manière générale - elle ne saurait se consolider et donc perdurer dans un tel état, en état permanent de guerre avec le reste du monde !

On ne peux qu’observer, à l’heure présente et au-delà des coups de feu, des pillages et des explosifs qui finiront bien par s’épuiser, si l’on agit bien sûr, tout d’abord sur leur financements réels, à quel point ces bandits d’un genre finalement « ancestral », même s’ils revêtent les vêtements de guerriers modernes, ces champions d’un terrorisme qu’on dit maintenant rationalisé, « fasciste », disions-nous, forment ainsi des « groupements de l’ombre », des « tribus », des « clans » disons-le carrément, pré-civilisationnels, restent en marge des sociétés, et ce même lorsque de nouvelles conquêtes nous laissent prévoir le « pire ».

Mais ce « pire », à quoi ressemblerait-il ? Existe-il un véritable sens, uneorientation politique suffisamment pensée et organisationnelle pour être opératoire à ce point, et ayant le pouvoir de « fédérer » autour d’elle une coalition soudée, par exemple ? Non, me semble-il, d’aussi loin que ma connaissance du sujet me permet de le penser !

 Car trop de conflits internes gangrènent le monde islamique, si géographiquement dispersé (du Maroc jusqu’à l’Indonésie pour faire bref!), si divers dans ses traditions (sunnisme, chiisme) comme dans ses réalités géostratégiques – pétrole, drogue, trafics d’armes, démographie...

 Rationnels ou irrationnels, au fond, qu’importe, le fait est que les Djihadistes et tous ceux qui les soutiennent dans l’ombre, ne font que creuser, depuis des mois et des mois, la tombe de leur propre civilisation !